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 L'Argent d'Emile Zola

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ZAKARYA
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MessageSujet: L'Argent d'Emile Zola   L'Argent d'Emile Zola Icon_minitimeDim 5 Juil - 9:43

L'Argent d'Emile Zola




NOTE: 8/10
Pour ceux qui aiment : La devise qu’il faut connaitre le passé pour comprendre le présent.

Le style très "langage parlé" de Joey Goebel m’avait donné envie de me plonger dans un bon classique de la littérature française. Etant une fan inconditionnelle de Zola, c’est tout naturellement vers lui que je me suis tournée. L’Argent, un thème d’actualité en ces temps de remous économiques, s’est imposé de lui-même.

Publié en 1891, L’Argent est le dix-huitième roman de la série des Rougon-Macquart (qui en compte vingt). On retrouve dans ce roman le personnage de Saccard, qu’on avait découvert dans La Curée. L’histoire relate l’ascension, puis la ruine de la Banque Universelle, créée par Saccard, dans son désir toujours renouvelé de pouvoir et de richesse. Un personnage vraiment fascinant, qui va mener à la ruine de sa banque mais reste persuadé, malgré tous les échecs, de pouvoir encore gagner. Zola s’est largement inspiré de deux scandales financiers de l’époque, celui de la Caisse générale des chemins de fer, créée par Jules Mirès et la faillite de l’Union Générale en 1881.

D’autres éléments du récit m’ont fasciné. A commencer par le ton assez antisémite du récit qui critique ouvertement la main-mise juive sur la banque française. Le personnage de Gundermann, qui contribue à la chute de Saccard, est d’ailleurs inspiré de James de Rothschild. Zola est, dans ce récit, influencé par la pensée de son époque, et on peut se réjouir que l’Affaire Dreyfus a eu raison de ses opinions antisémites. L’autre élément qui enrichit ce récit sur le monde de la bourse est la présence de Sigismond et de ses théories marxistes. On sent la curiosité de Zola pour ces idées révolutionnaires. Il est, je trouve, difficile de nos jours, après l’échec de l’URSS, d’imaginer l’espoir ou au contraire la peur que suscitaient ces théories à l’époque de leur publication dans le Capital, en 1867.
Enfin l’Argent, dont l’action est située sous l’Empire, dans les années qui précédent la guerre Franco-Prussienne de 1870, m’a permis de rafraichir mes connaissances historiques de cette période. L’idée d’une banque au service de la papauté avec pour but final d'installer le Pape à Jérusalem (nous somme en pleine création de l'Italie et les états papaux sont menacés) m’a fait sourire. Je n’ose imaginer la pagaille que cela aurait créer, considérant la situation actuelle déjà suffisamment complexe.

En conclusion, ce livre décrit très précisément le fonctionnement de la bourse et de la folie spéculative, et reflète à merveille les idées qui avaient cours à cette époque. Un drame principal qui engendre de nombreux drames personnels (on est dans un Zola tout de même). Les livrets explicatifs de l’édition Folio sont également très enrichissants. Ce n’est cependant pas mon Zola préféré. Cette place est toujours occupée par Au Bonheur des Dames, comme 70% des personnes ayant participé au sondage de ce site (viennent ensuite Germinal avec 20% et Nana 10%). L’Argent est aussi criant d’actualité; il est inquiétant de voir que le passé se répète encore et encore, que les gens font toujours confiance aux banquiers qui promettent des gains surréalistes (Saccard, ancêtre littéraire de Madoff) et que la bourse s’affole toujours de la même manière, artificiellement, jusqu’à l’explosion de la bulle spéculative et la ruine de milliers de personnes.

Alors, pendant la dernière demi-heure, ce fut la débâcle. Après l’extrême confiance, l’engouement aveugle, arrivait la réaction de la peur, tous se ruant pour vendre, s’il en était temps encore. Les cours, de chute en chute, tombèrent à 1500, à 1200, à 900. Il n’y avait plus d’acheteurs, la plaine restait rase, jonchée de cadavres. Au-dessus du sombre grouillement des redingotes, les trois coteurs semblaient être des greffiers mortuaires, enregistrant des décès. Un silence effrayant régna, lorsque, après le coup de cloche de la clôture, le dernier cours de 830 francs fut connu. Et la pluie entêtée ruisselait toujours sur le vitrage ; la salle était devenue un cloaque, sous l’égouttement des parapluies et le piétinement de la foule, un sol fangeux d’écurie mal tenue.
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MessageSujet: Re: L'Argent d'Emile Zola   L'Argent d'Emile Zola Icon_minitimeMer 5 Aoû - 8:05

II
" L'ARGENT "


--parti I--
L'Argent peut être considéré comme la réplique et le complément de Pot-Bouille, où Zola, avec une acuité et une sévérité impitoyables, a décrit la petite bourgeoisie. Ce qui la caractérisait jadis, c'était une vie réglée, sage et tranquille, une stricte honnêteté, un esprit borné de philistin, et ces vertus ont fourni aux écrivains du passé des modèles pour leurs types comiques. Aujourd'hui, elle nous apparaît telle qu'elle est représentée dans Pot-Bouille, entièrement dégradée et corrompue. Ce n'est pas la soif de l'or qui a modifié la physionomie du petit bourgeois, mais le besoin d'argent qui le talonne et le broie ; ce n'est pas la poursuite des plaisirs et des voluptés, mais la lutte pour une existence misérable, pleine de soucis et de chagrins. Le petit bourgeois doit calculer, économiser parcimonieusement, avant de pouvoir acheter un colifichet à sa femme, un joujou à son enfant ; il est contraint, sous peine de mort, de compter par centime.

Dans son roman l'Argent, Zola nous introduit dans un monde différent, en opposition complète avec les milieux petits-bourgeois, un monde où l'on calcule non par centime, mais par billets de mille. Ici, nous voyons l'or liquide et mobile rouler en vagues plus rapides, plus précipitées, plus bouillonnantes que dans les eaux aurifères du Pérou ; ici, l'or est devenu le sens et le but de toute vie, de toute pensée, de toute action. Cet or, on le pourchasse, non pour assurer son existence ni celle de sa famille, ni pour donner une réponse à l'éternelle question : " Comment réussir à manger et à se vêtir ? " On travaille et l'on souffre non par nécessité, mais pour entasser millions sur millions, par amour de l'or, pour l'or. Le millionnaire juif Gundermann, que Zola a présenté dans l'Argent, n'a aucun besoin. Un étudiant, joyeux drille, qui apparaît, dans une des œuvres de Balzac, aussi pauvre d'écus que riche d'esprit, se console de son impécuniosité en remarquant philosophiquement que ni Napoléon, ni l'homme le plus riche du monde ne sauraient déjeuner deux fois par jour, ni avoir plus de maîtresses qu'un simple étudiant en médecine. Gundermann n'arrive même pas à ingurgiter un déjeuner par jour, la femme n'existe pas pour lui. Son estomac détraqué ne supporte que le lait, et quand il veut mener joyeuse vie, il savoure du jus de raisin ; son cœur ne bat que pour la hausse et la baisse des valeurs de Bourse.

Mais l'amour de l'or, qui caractérise les personnages du monde dépeint par Zola, n'est pas du tout l'amour de l'or métallique, de l'or solide, de l'or qui brille et resplendit, qui réjouit et séduit les yeux par son éclat rayonnant, les oreilles par son tintement harmonieux. Grandet, l'avare de Balzac, aime tendrement l'or pour ses qualités physiques, pour sa couleur, pour son bruit ; il entasse les brillantes pièces d'or en lieu sûr, joue avec elles, les fait glisser entre ses doigts, il éprouve une volupté incomparable à plonger ses mains dans le trésor, à le sentir, à le palper ; il parle de son or avec des mots tendres, l'ivresse d'un poète brûlé du feu de la passion.

"Allons, va le chercher, le mignon, dit-il à sa fille. Tu devrais me baiser sur les yeux pour te dire ainsi des secrets et des mystères de vie et de mort pour les écus. Vraiment les écus vivent et grouillent comme des hommes : ça va, ça vient, ça sue, ça produit."
Pendant des heures, il jouit du spectacle des louis d'or empilés les uns sur les autres, dont l'éclat chatoyant l'hypnotise véritablement, de sorte qu'il s'écrie, enthousiasmé : " Ça me réchauffe ! "

Les boursiers ne connaissent plus l'or, " cette larme dérobée au soleil " ; ce qui glisse dans leurs mains, ce sont seulement des bouts de papier qu'ils froissent et chiffonnent avec des gestes fiévreux. Pour eux, la fortune n'est pas quelque chose de visible, de tangible, de palpable, c'est une suite de chiffres abstraits, de valeurs métaphysiques. Quand on parle d'actions de compagnies de gaz, d'actions de chemins de fer, d'actions de mines de charbon, ils ne se représentent pas quelque gazomètre géant pareil à une cloche qui reçoit et emprisonne le gaz fluide, extrait du charbon ; ils ne voient pas, avec les yeux de l'imagination, des locomotives fumantes, des voies ferrées s'étendant à l'infini, des galeries souterraines et des wagonnets remplis de charbon... Non, devant leurs regards, danse la cotation abstraite de ces chiffons de papier, appelés actions, que l'homme de Bourse considère comme des valeurs incorporelles et supraterrestres : il lui est absolument égal que les choses représentées par elles existent ou non.

Zola aurait dû intituler son roman non pas l'Argent, mais la Bourse, car il nous peint des milieux que la spéculation boursière maintient dans une tension fiévreuse et une excitation perpétuelle, des hommes dont elle détraque le système nerveux. Dans son circuit, l'argent reflète tous les processus et les phénomènes de la société capitaliste. Pour quelques francs, l'ouvrier se vend à la journée, à la semaine, au mois, il livre sa femme et son enfant au capitaliste, il les condamne aux travaux forcés à l'usine ; pour l'argent, les fabricants de rails contrefont le poinçon de garantie et mettent ainsi en danger l'existence de milliers de voyageurs ; pour l'argent, le président Grévy, dans de sales trafics, usa de l'influence politique que lui conférait sa situation de plus haut dignitaire de l'Etat ; pour l'argent, l'officier risque sa vie, le caissier demeure honnête, le poète et l'écrivain composent leurs œuvres. Le développement capitaliste a fait descendre l'humanité à un niveau si bas qu'elle ne connaît plus et ne peut plus connaître qu'un seul mobile : l'argent. L'argent est devenu le moteur principal, l'alpha et l'oméga de toutes les actions humaines. Balzac l'appelle " l'ultima ratio mundi " [10]. Zola n'a jamais essayé de représenter, dans le cadre de son roman, les vertus et les vices engendrés par l'argent roi.

Tous les personnages de son dernier livre gravitent autour d'une spéculation financière ; la Bourse est le champ de bataille où ils engagent une lutte à mort. La Bourse n'est pas un laboratoire magique où se créent des richesses, elle est une caverne de brigands où les financiers, qui rivalisent de ruses, de duplicité, de mensonges et de perfidie, se partagent le butin : les millions et les milliards créés par le travail des champs, dans les mines, les fabriques et les usines de l'univers. Les agioteurs, qui concentrent dans leurs coffres-forts et leurs portefeuilles d'immenses quantités de richesses, n'ont eux-mêmes jamais rien produit de leur vie. Leur seul travail intellectuel consiste à tendre insidieusement des pièges et des filets dans lesquels doivent se prendre les millions créés n'importe où et par n'importe qui – où et par qui, de cela, ces messieurs n'en ont cure !!

Saccard, le héros du roman de Zola, incarne ce monde étrange. Au moment où il paraît, il ne possède plus rien, les gens qu'il connaît l'accueillent froidement ou font semblant de ne pas le voir ; c'est un homme ruiné, et, dans ce milieu, il n'y a pas d'amis. Objet du dédain général, il parvient cependant à se tirer d'affaire et il triomphe soudain, adulé et encensé par ceux-là même qui lui avaient naguère tourné le dos et s'étaient écartés de sa route. La cause de ce brusque revirement ? Saccard dirige une opération financière favorisée par la chance et couronnée de succès : ses actions montent et, malgré les craintes les plus justifiées, malgré les intrigues et la trahison de ses associés, malgré les combinaisons astucieuses de ses concurrents, elles atteignent des cours fabuleux. La paternité de l'opération n'appartient pas à Saccard ; il ne s'est pas occupé du côté technique de l'affaire. C'est un modeste ingénieur, à l'âme mystique, tombé dans cette bande d'aigrefins, qui a tout inventé, tout organisé ; Saccard n'est que le " fondateur ", l'homme aux formules magiques qui ouvrent le porte-monnaie des actionnaires, l'homme qui possède l'art merveilleux de duper les gens ; et ceux-ci lui donnent leur bel or, leur or tintant, en échange de chiffons de papier, bien que cet or leur soit plus cher que leur honneur, leur femme, leur enfant et leur chien favori !

Le roman de Zola a été inspiré par des faits réels qu'il a poétiquement arrangés : c'est l'histoire de l'Union générale, société financière dirigée par Messieurs Bontoux et Fœder, qui mettait au pillage la France, l'Autriche, la Serbie et la Roumanie, en y créant des banques, des mines, des voies ferrées et des usines. L'Union générale a été un certain temps une miraculeuse caisse d'épargne, protégée par la bénédiction papale ; elle versait aux bons catholiques des intérêts fabuleusement élevés, même pour l'usurier juif le plus avide ; elle allait devenir la banque du pape et de tous les catholiques ; et son krach – l'un des plus grands qu'on ait vus jusqu'ici – ébranla le monde de la finance et affecta les milieux les plus divers.

Saccard est un financier retors, rompu à tous les stratagèmes, un animateur d'affaires véreuses. Il sait fort bien qu'une spéculation réussit quand elle est menée, non par des gens honnêtes et avertis, mais par des filous qui jouent un rôle important à la Bourse ou qui, par leur antique blason, leur titre de député ou même une simple décoration, en imposent aux imbéciles, dotés de plus d'écus que de cervelle. Il choisit, en conséquence, les membres du conseil d'administration pour la société véreuse qu'il a fondée. Saccard sait aussi que la réussite d'une affaire dépend de sa publicité.

On pouvait croire que Zola, qui veut passer pour un écrivain ultra-réaliste et qui se plaît aux descriptions les plus répugnantes, que Zola, qui, par défi et sans hésiter, emploie les locutions les plus ordurières, aurait ce courage : révéler toute la vérité, qu'il connaît bien, sur la publicité financière, cette escroquerie perpétuelle, et sur le rôle que la presse y joue.

Mais le courage lui a manqué dans l'Argent comme dans Germinal. Dans le premier de ces romans, il a ménagé la presse, cet " entrepôt de venin ", selon l'expression de Balzac [11]. Il n'a pas eu le courage de montrer comment toute la presse bourgeoise est vendue à la haute finance, comment elle s'efforce, pareille à une prostituée, de mériter ses faveurs par des supplications et des menaces. Maupassant est le seul écrivain moderne qui ait osé, dans Bel Ami, soulever un coin du voile et révéler la vénalité et les hontes de la presse bourgeoise de Paris [12]. Zola a bien représenté un journaliste, perdu de dettes et de vices : il écrit des articles de commande où aujourd'hui le blanc est noir et demain le noir est blanc ; ce qui lui attire quelques mésaventures. Mais ce journaliste appartient à la bohème littéraire, il ne jouit d'aucune considération, ne possède aucune influence, sa bassesse morale apparaît comme exceptionnelle et l'honnêteté la règle de la presse bourgeoise. Quand Zola passe sous silence la profonde corruption des journaux, ce n'est point par ignorance. Il connaît bien la presse, il a été lui-même journaliste, il entretient encore des rapports constants avec elle. Ce milieu, qu'il a observé, où il a vécu, sur lequel il possède une documentation exacte, puisée aux sources, il craint de le montrer tel qu'il est. Zola, qui, comme tous ses chers collègues de la plume, est un bon commerçant, veut ménager les journalistes qui peuvent, par leur réclame, influer sur la vente de ses livres. D'abord, les affaires ; ensuite, quand on le peut, l'art ! Voilà pourquoi il s'est gardé de montrer comment les feuilles les plus respectables et les plus respectées, les plus sérieuses et les plus ennuyeuses, mettent à la disposition des magnats de la finance leur première page, afin qu'ils puissent tromper et détrousser les bourgeois, dont ces journaux sont la lecture préférée [13]. Par contre, il raconte deux fois, en y trouvant du plaisir, un cas, qui, s'il s'est vraiment produit, est plutôt une farce qu'une réclame [14]. Rien n'est plus digne, rien n'est plus moral que les prospectus des spéculateurs ; ces messieurs pourraient donner aux jésuites des leçons de jésuitisme.

A la Bourse, la banque catholique de Saccard et la banque israélite de Gundermann – pseudonyme de Rothschild – sont aux prises. Retiré tranquillement dans son antre, plein de confiance dans la force miraculeuse de ses millions

– " Dieu est toujours pour les plus gros bataillons ", disait déjà Turenne – le Juif froid et flegmatique laisse le chrétien nerveux et fiévreux user ses forces dans une série de spéculations qui font monter les actions de l'Universelle du cours initial de 500 francs à 3.000 francs. Quand Saccard est épuisé par sa victoire à la Pyrrhus, Gundermann jette brusquement ses millions sur le marché, ruine et écrase son concurrent. Du sommet du bonheur, celui-ci roule jusqu'à la prison, et de nouveau tous ceux qu'il a enrichis l'abandonnent et le trahissent. Saccard est battu, mais non vaincu ; dans sa cellule de la Conciergerie, il forge des plans pour de nouvelles entreprises, pour de nouvelles spéculations. Il rêve qu'il est riche, il se voit à nouveau maître et seigneur de la Bourse, avec des centaines de millions entre les mains. --->


Dernière édition par le_friauche le Mer 5 Aoû - 8:13, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'Argent d'Emile Zola   L'Argent d'Emile Zola Icon_minitimeMer 5 Aoû - 8:12

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Au cours de la seconde moitié du siècle, il y a eu souvent des batailles acharnées entre la maison Rothschild et les banques qui lui avaient déclaré la guerre et qui s'attaquaient à son hégémonie. Dans les premières années du règne de Napoléon III, Rothschild, enrichi par le placement des emprunts d'Etat, s'en tenait à l'ancienne manière de spéculer ; il n'entreprenait que des opérations sûres et manipulait exclusivement des millions qui lui appartenaient ou dont répondait sa banque. Mais les Péreire et autres, imbus des théories de Saint-Simon, dirigeaient la spéculation dans d'autres voies. Ne possédant pas de fortune, ils se faisaient verser par le public les capitaux dont ils avaient besoin, et, comme ils spéculaient avec l'argent des autres, ne couraient aucun risque et n'avaient rien à perdre, ils se jetèrent à corps perdu dans les aventures financières les plus osées. C'est de cette époque que date la fièvre de spéculation qui tient depuis la nation française dans une agitation perpétuelle. Les spéculateurs de la nouvelle école essayèrent de ruiner Rothschild, mais celui-ci les abattit les uns après les autres, Péreire, Mirès, Philippart, Bontoux. Le vieux Juif avait une foi si inébranlable dans sa victoire finale qu'il laissa inoccupée, dit-on, la table où son plus terrible ennemi, Péreire, avait travaillé du temps où il était employé dans sa banque ; à une remarque qu'on lui fit, Rothschild répondit froidement : " Il reprendra un jour sa place ".

Les vaincus des Rothschild étaient des novateurs dans le domaine de la spéculation. Les idées, les combinaisons et les méthodes qu'ils appliquèrent pour se procurer de l'argent ont révolutionné le monde des affaires et la Bourse. Ils ont centralisé dans leurs mains l'épargne des bourgeois et des masses populaires, pour en diriger les flots tumultueux vers l'industrie et le commerce. Ils sont devenus les pompes aspirantes et foulantes de la fortune nationale. L'appel à l'association des petits capitaux est une formule empruntée à Saint-Simon : sa réalisation était devenue une nécessité pour le développement du capitalisme. Les chemins de fer et les organismes économiques modernes sont des entreprises si vastes qu'il est impossible de les construire et de les faire marcher à l'aide de capitaux individuels. Il fallait les capitaux de la masse, leur concentration gigantesque. Les Péreire et les Mirès ont entrepris cette tâche, et ils peuvent se vanter d'avoir accompli un plus grand miracle que la résurrection de Lazare : ils ont réussi à persuader les petits bourgeois et les paysans de se séparer de leur argent bien-aimé, et de le leur confier. Ainsi, ils ont pu trouver les capitaux dont avait besoin à ses débuts la grande industrie en plein essor. Péreire et Mirès ont précipité le développement industriel et commercial qui se heurtait à certaines difficultés sous l'Empire ; ils ont surtout, contre leur gré, travaillé pour la maison Rothschild, qui, après avoir longtemps contemplé d'un œil placide leur ascension et leur succès, les abattit et s'empara des organismes financiers et industriels qu'ils avaient créés.

Zola ne connaît pas l'histoire de la finance et de la Bourse parisiennes ; en véritable reporter, il s'est contenté de passer quelques heures à la Bourse, d'étudier les lieux – et de noter les bavardages de quelques boursiers aussi peu au courant que lui-même de l'histoire de la Bourse et de leur propre histoire : en effet, du moment que cette histoire n'affecte pas la montée et la chute des cours, elle ne les intéresse que médiocrement. Pour Zola, la lutte entre Saccard et Gundermann est seulement le duel entre le capital de spéculation catholique et juif. Mais les Péreire et les Mirès étaient d'aussi bons Juifs que les Salomon et les Nathan de la famille Rothschild ; ils accusaient ces derniers d'être des Juifs du Nord, des Askenazis, tandis qu'ils s'attribuaient l'honneur de représenter les Juifs du Sud, les Séphardins, qui, selon eux, se distinguaient par des idées plus généreuses.

La maison Rothschild avait résisté à tous les orages, elle était sortie victorieuse et plus puissante que jamais de la Révolution de 1848, qui avait pourtant voulu sa perte ; elle avait fait front contre tous ses ennemis, protégés et favorisés par l'Empire et par les opportunistes, et elle les avait tous vaincus. Cette guerre et la lutte entre les tenants des anciennes et des nouvelles méthodes de spéculation auraient pu servir d'arrière-fond au roman et lui donner une grandeur épique.--->
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MessageSujet: Re: L'Argent d'Emile Zola   L'Argent d'Emile Zola Icon_minitimeMer 5 Aoû - 8:17

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-partie II-
Il est difficile de décrire de façon intéressante les gens de Bourse et leurs trafics ; Zola a pourtant su dramatiser la matière ingrate qu'il avait devant lui. Si l'on considère les difficultés surmontées, la richesse des détails, l'habileté au plan, le relief des caractères dont quelques-uns sont remarquablement observés, on doit reconnaître que l'Argent est un chef-d'œuvre. L'exposition est très réussie. Zola, cette fois, ne fait pas un travail d'écolier, il ne copie pas un tableau, comme dans la Terre, il dessine d'après nature.

Dès la première page, le lecteur plonge au sein de cette vie tumultueuse ; Zola le mène dans un restaurant où ceux qui vivent de la Bourse déjeunent et attendent l'heure bénie où ils pourront adorer le Veau d'or. Là, dans le tohu-bohu, des spéculateurs mangent, boivent, fument, vont et viennent, se saluent mutuellement, s'interpellent à voix haute ou échangent à voix basse leurs avis, leurs impressions et leurs pensées sur le seul objet qui les intéresse, la seule question qui les passionne : les cours de la Bourse, et les événements politiques qui peuvent les influencer. De cet univers bruyant, où chacun s'isole dans ses calculs et ses combinaisons, se mure dans son égoïsme, la figure de Saccard se détache en traits vigoureux : infatigable et dédaigné, il roule et prépare dans sa tête le plan d'une nouvelle, d'une vaste spéculation, et il note déjà les personnes dont il se servira et qui peuvent lui être utiles. Bien qu'il soit ruiné, sans crédit et sans protection, que son frère le ministre veuille s'en débarrasser en lui donnant une place de sous-préfet en province, il dresse hardiment le plan qui lui permettra de conquérir Paris.

Zola a voulu donner au lecteur une idée des personnages étranges et spéciaux qui gesticulent à la Bourse comme des possédés, hurlent jusqu'à l'enrouement et qu'on rencontre à chaque pas dans le quartier. Son roman nous présente une foule de silhouettes vivement enlevées. Busch et la Méchain avec son sac de cuir rempli de papiers, représentent des types de bas chiffonniers des valeurs tombées au ruisseau : ils achètent des actions de sociétés en faillite, des reconnaissances de dettes impayées, des billets protestés, classent et cataloguent tous ces papiers sans valeur, puis attendent patiemment quatre, cinq, dix ans l'occasion de s'en défaire avec profit, un profit si minime qu'il ne paie ni le temps, ni les efforts dépensés par ces oiseaux carnassiers des champs de massacre de la finance. A côté du bâtiment de la Bourse, à l'intérieur de l'enceinte qui entoure l'esplanade, plantée de marronniers rabougris, où s'élève le temple du Veau d'or, il y a une autre Bourse, appelée la Bourse des " Pieds humides ". Ce nom bizarre lui a été donné parce qu'elle se tient à ciel ouvert, comme autrefois le marché des valeurs avant la construction de l'édifice. Les " Pieds humides " sont des individus dont on ne sait pas toujours d'où ils viennent et dont le passé, la plupart du temps, est loin d'être irréprochable. Dans leurs paletots usés et minables, leurs chapeaux roussis, crasseux, leurs bottines éculées qui absorbent, les jours de pluie, plus d'eau que leurs propriétaires, ils agiotent sur des valeurs dépréciées, tombées de 1.000 et de 500 francs à 50 francs, et même à cinq centimes – ainsi que les rois de la finance spéculent sur les rentes d'Etat, les actions de chemins de fer, les actions d'entreprises à gros dividendes. Les " Pieds humides " vendent des titres de sociétés en faillite à des âmes simples qui espèrent, contre toute vraisemblance, qu'ils remonteront un jour ; plus souvent encore, ils les cèdent à des filous qui désirent posséder un capital fictif pour éblouir les parents d'une héritière dont ils veulent épouser la dot, ou pour échapper aux rigueurs de la loi et masquer une banqueroute frauduleuse. Dans ce dernier cas, ils se présentent comme les victimes innocentes d'une spéculation qui a échoué. S'ils n'ont, au moment où il faut payer, pas un sou en caisse pour satisfaire leurs créanciers, la faute en incombe à cette opération financière manquée : ils ont acheté 500 francs des actions – ils les ont en mains – qui ne valent plus que cinq centimes. On ne trouve pas dans l'Argent une description de cette basse spéculation si intéressante et si caractéristique, qui est pour ainsi dire le revers de la Bourse véritable ; nous ne pouvons que le regretter, car la Bourse des " Pieds humides " est une satire cinglante des rois de l'or. Mais Zola n'a pas la veine satirique.

Les figures épisodiques du roman sont nombreuses et intéressantes. Dejoie est le type du travailleur honnête qui a épargné durant des années sou par sou pour amasser une dot à sa fille ; après avoir obtenu un petit emploi grâce à Saccard, il le sert avec dévouement, se sacrifie pour lui et lui demeure fidèle alors que tous lui tournent le dos après sa chute : le krach de la banque engloutit ses économies, fruit de toute une vie de peine et de labeur. – La comtesse de Beauvilliers, qui affirme descendre des Croisés, connaît les pires privations, aussi pauvre de santé que d'argent ; elle confie à Saccard les derniers restes de sa fortune, la dot de sa fille, et met dans la spéculation son dernier espoir de redorer le blason de ses ancêtres. – Maugendre représente le petit bourgeois retiré des affaires qui jouit d'une modeste aisance, possède toutes les vertus petites-bourgeoises et une forte dose de bon sens, hait l'engeance des spéculateurs, méprise le jeu et cependant se laisse circonvenir et dépouiller complètement par Saccard. – La noble et orgueilleuse baronne Sandorff, la femme d'un conseiller d'ambassade, est prise dans les tenailles de la spéculation auxquelles on n'échappe pas. Pour couvrir ses pertes à la Bourse, elle se vend à un procureur général en voie de devenir ministre ; elle devient la maîtresse de Saccard afin d'en tirer d'utiles renseignements et jouer à coup sûr, finalement elle le trompe lui aussi, fouille ses poches pendant son sommeil, court rejoindre Gundermann pour lui révéler le secret qu'elle a découvert. Elle espère obtenir une récompense convenable, car le Juif lui a promis de lui donner un bon conseil au cas où elle lui serait utile. Ce bon conseil ne se fait pas attendre :

"Ecoutez-moi bien, lui dit Gundermann. Ne jouez pas, ne jouez jamais. Ça vous rendra laide, c'est très vilain, une femme qui joue."
Ces mots sont toute la récompense qu'elle obtient pour avoir causé la perte de son amant, Toujours à l'affût de renseignements boursiers, en proie à sa passion, elle tombe de plus en plus bas et devient finalement la maîtresse de Jantrou, le journaliste de Bourse corrompu et taré, qui la gifle et la bat comme une fille publique, elle, la noble et très orgueilleuse baronne Sandorff. – Le capitaine Chave joue à la Bourse avec la prudence d'un tacticien consommé pour arrondir sa pension et pouvoir satisfaire ses vices de vieux débauché. – Maxime, le fils aîné de Saccard, est un type e fin de siècle " très réussi ; il est élégant et soigné comme une courtisane prodigue ; bien qu'il n'ait que vingt-six ans, la vie l'a déjà épuisé, il est égoïste et avare dès qu'il s'agit d'autrui, par contre il ne recule devant aucune dépense quand sa précieuse personne est en jeu ; c'est un homme ennuyeux qui regarde et observe sa vie ennuyeuse et n'est absorbé que par cette contemplation. Il juge bien son père :

"Voyez-vous, dit-il à madame Caroline, il faut comprendre papa. Il n'est pas, mon Dieu ! pire que les autres. Seulement, ses enfants, ses femmes, enfin tout ce qui l'entoure, ça ne passe pour lui qu'après l'argent... Oh ! entendons-nous, il n'aime pas l'argent en avare, pour en avoir un gros tas, pour le cacher dans sa cave. Non ! s'il en veut faire jaillir de partout, s'il en puise à n'importe quelles sources, c'est pour le voir couler chez lui en torrents, c'est pour toutes les jouissances qu'il en tire, de luxe, de plaisir, de puissance... Que voulez-vous ? il a ça clans le sang. Il nous vendrait, vous, moi, n'importe qui, si nous entrions dans quelque marché. Et cela en homme inconscient et supérieur, car il est vraiment le poète du million, tellement l'argent le rend fou et canaille, oh ! canaille dans le très grand !"
J'omets toute une série de figures intéressantes, car je ne puis ici suivre le roman page par page et l'analyser. Tous les personnages sans exception sont pleins de vie et de mouvement. Zola les a habilement liés à l'action principale, la spéculation de Saccard. L'Argent est un roman solidement charpenté.

Nous y trouvons, à côté de Saccard, une femme pleine de vigueur et de placidité, madame Caroline. Elle vit dans un monde de filous et d'escrocs, comme un lys grandi sur le fumier, sans perdre rien de sa pureté originelle ; sa candeur la préserve, à chaque contact malpropre, de toute souillure. Elle a été l'ange gardien et l'intelligente amie de son frère, l'ingénieur Hamelin, un savant mystique, qui a de grandes idées, mais a besoin d'un financier pour les réaliser ; elle est la conseillère lucide, l'excellente maîtresse de maison de Saccard, avec qui elle vit maritalement et qu'elle admire pour sa flamme, son énergie, son talent d'organisation, mais dont elle redoute les faiblesses morales et surtout les emballements. Madame Caroline aide et défend tous ceux qu'elle rencontre ; en même temps elle n'est ni ennuyeuse ni sotte, elle se distingue ainsi très avantageusement de la multitude des personnages bons et vertueux affligés d'habitude de ces deux défauts dans les romans, en particulier ceux de notre auteur. Zola n'y a pas manqué cette fois-ci encore en nous présentant le jeune ménage des Jordan et il a su le rendre aussi insignifiant et niais que possible. L'homme est un romancier vertueux qui, sans éprouver ni honte ni dégoût, écrit dans le journal de Saccard ; on le paie pour cela et sa vertu se déclare satisfaite. Quand le manque d'argent se fait sentir, la femme, qui est d'une incroyable naïveté, s'exclame :

– "Oui, va, ça marchera très bien !... Tu remontes avec moi, n'est-ce pas ? Ce sera gentil, et nous achèterons, pour demain matin, un hareng saur, au coin de la rue de Clichy, où j'en ai vu de superbes. Ce soir, nous avons des pommes de terre au lard."
Ce merveilleux hareng saur et ces pommes de terre au lard ! Que demander de plus comme réalisme et comme détail documentaire ?

Le monde décrit dans l'Argent n'est pas beau ; on ne peut pas cependant faire à Zola le même reproche qu'à Balzac, à savoir d'avoir " rendu le laid plus laid encore ". La réalité, ici, est beaucoup plus répugnante que toutes les descriptions faites par Zola avec leurs détails scatologiques et leurs fautes de goût. La réalité dépasse en horreur les plus horribles tableaux. Est-ce le désir de se faire accepter par l'Académie ou le caractère spécial du thème traité qui a influencé l'auteur? L'Argent ne contient aucun de ces passages inutilement orduriers que Zola introduit avec tant de plaisir dans son œuvre. La scène où le procureur général Delcambre surprend sa maîtresse, la baronne Sandorff, en flagrant délit avec Saccard, est, certes, osée, mais elle est vraie, et il était nécessaire de l'esquisser à grands traits pour faire pleinement ressortir le caractère des trois personnages. Balzac et Zola n'ont pas essayé d'éviter la représentation du laid qui se trouve dans la vie, mais Zola se plaît vraiment aux descriptions superflues et détaillées de choses dégoûtantes et ignobles, et ces descriptions ont contribué au succès de ses romans. Sans doute, il le cède sous ce rapport à Henry Monnier qui, pour rendre toute l'ignominie de la réalité, a eu recours non pas au roman, mais à de courtes scènes dialoguées. Le lecteur n'aurait pas supporté de descriptions plus longues !

Ce qu'on peut, ce qu'on doit reprocher à Zola, c'est qu'il dépeint sans esprit, sans satire et sans humour ce qu'il prétend être la réalité. Il écrit ennuyeusement, il n'est pas emporté par son œuvre, c'est plutôt un artisan consciencieux attelé à une tâche qui ne l'intéresse pas spécialement.

Le rire et l'ironie n'égaient jamais les pages de Zola ; pourtant l'homme civilisé rit, même quand il vit dans la pourriture et dans la douleur. La sottise humaine a beau être incommensurable, la bouche de l'imbécile le plus complet laisse échapper parfois quelques traits brillants qui révèlent l'esprit. Le monde de la Bourse est composé d'un ramassis d'individus venus de toutes les classes sociales, de tous les coins de la terre. Parmi eux se rencontrent des gens spirituels, des sceptiques – des sceptiques il est vrai très superstitieux, – qui sont plus rusés que des renards, savent se tirer avec humour des situations les plus difficiles et qu'on appelle des " débrouillards ". Zola ne connaît pas ces gens-là : lui qui, pourtant, veut être très documenté, ne se sert pas une fois du mot si expressif de " débrouillard ".

Parmi eux se rencontrent souvent des personnalités intelligentes et très cultivées que leur vie désordonnée – à laquelle correspond souvent un extérieur bohème – a dégradées moralement. Dans leurs rangs se recrutent des écrivains qui écrivent sur la Bourse et pour la Bourse. Il suffit de lire les bulletins de Bourse et les revues financières pour reconnaître et apprécier leur brio et leur talent ; ils savent animer leur sujet et lui donner des couleurs poétiques. Comme l'a déjà remarqué Charles Fourier, la langue de la Bourse est poétique et très imagée, elle insuffle la vie aux valeurs boursières, elle les dote de tous les sentiments que les variations des cours font naître dans l'âme du spéculateur. Les valeurs (le Bourse sont plus sensibles que le mimosa ; dès l'apparition du moindre nuage, elles se recroquevillent, elles languissent, elles s'étiolent, se flétrissent, se cachent effrayées et tombent ; mais dès le premier rayon de soleil, elles se raniment, s'épanouissent, prêtes à la lutte, se redressent, pour recevoir le prix de la victoire.

Zola n'a rien remarqué de tout cela et ses personnages sont monotones [15].--->
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MessageSujet: Re: L'Argent d'Emile Zola   L'Argent d'Emile Zola Icon_minitimeMer 5 Aoû - 8:25

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-partie IV-
La philosophie est le propre de l'homme et la joie de son esprit. L'écrivain qui ne philosophe pas n'est qu'un artisan. Le naturalisme qui correspond, en littérature, à l'impressionnisme en peinture, interdit les raisonnements et les généralisations. Selon cette théorie, l'écrivain doit demeurer complètement passif, enregistrer la sensation et la rendre, sans aller au delà, il ne doit pas analyser la cause du phénomène, de l'événement, ni en annoncer les conséquences ; son idéal est (le ressembler à une plaque photographique. Cette méthode purement mécanique de reproduire la vie dans l'art est très facile ; elle n'exige aucune étude préalable et ne demande qu'une faible dépense d'énergie intellectuelle. Mais si le cerveau, qui joue le rôle de plaque photographique, n'est ni très sensible ni très vaste, on risque de n'obtenir qu'une image imparfaite, incomplète, plus éloignée de la réalité que le tableau créé par la fantaisie la plus effrénée. Leur méthode prouve seulement que les écrivains naturalistes ont peu de facultés intellectuelles.

Balzac philosophait à tout propos et à propos de tout ; il allait parfois si loin qu'il bourrait ses œuvres de considérations générales et les rendait ainsi indigestes. C'était un penseur profond, qui prêtait son esprit et sa richesse de pensée à ses personnages. La Peau de chagrin, qui ne compte pas pourtant parmi ses meilleures œuvres, contient une suite de conversations endiablées entre journalistes, politiciens, artistes et courtisanes, où il expose sur la société, les mœurs et la politique des idées plus profondes que n'en contient toute notre presse moderne. Zola philosophe habituellement assez peu. Dans l'Argent, il a exceptionnellement mis dans la bouche de deux personnages, Saccard et Sigismond Busch, des considérations générales, – le sujet l'y obligeait, – mais ni l'un ni l'autre ne nous en imposent par leur philosophie.

Saccard est un homme ordinaire. Il a eu une vie très agitée, pleine de vicissitudes ; il a vu beaucoup d'hommes et beaucoup de choses, traversé les situations les plus diverses, il a été tour à tour riche et pauvre ; il a éprouvé les sensations les plus contradictoires, l'ivresse du combat et de la victoire, le découragement momentané de la défaite, l'aiguillon de l'orgueil condamné à l'impuissance ; il a été divinisé et méprisé. Son cerveau aurait dû emmagasiner une foule d'observations et de pensées, son cœur aurait dû déborder de mépris et de sarcasmes pour l'humanité.

Sigismond Busch est une intelligence, un homme surexcité par la maladie, un socialiste imbu, Zola nous l'affirme, de la savante et puissante théorie de Karl Marx. On pourrait donc supposer qu'il connaît à fond le monde de la finance et l'économie capitaliste, qu'il comprend le développement de la société et la nécessité de sa transformation. Lui et Saccard auraient pu jouer à merveille, étant donné la trame du roman, le rôle de penseurs : l'un envisageant la société moderne du point de vue capitaliste, l'autre du point de vue socialiste. Mais au lieu d'exprimer des pensées profondes, ils ne se livrent qu'à un vain bavardage. Cela ne suffit pas à Zola qui fait répéter par madame Caroline ce qu'a déjà dit Saccard. Madame Caroline est une femme


d'une érudition trop vaste, qui avait perdu son temps, autrefois, à brûler de connaître le vaste monde et à prendre parti dans les querelles des philosophes.
S'efforcer de connaître le monde signifie donc pour Zola perdre son temps ! L'écrivain ne voit pas qu'avec une pareille conception il met l'ignorance au-dessus de la science et donne à la sottise le pas sur la raison.

Saccard parle beaucoup et longuement : cela répond non seulement à son tempérament méridional, mais encore à la manière de Zola qui préfère le monologue au dialogue. Saccard se plaît de temps à temps à proférer des axiomes : ainsi, quand il s'agit de publicité, il déclare sentencieusement que " tout bruit était bon, en tant que bruit ". Il veut qu'on amuse le public et conseille à Jantrou d'égayer son bulletin de Bourse par des calembours. Zola aurait pu rendre plus intéressante la nullité intellectuelle de ces boursiers en leur mettant dans la bouche les sentences et les idées qui leur sont habituelles. Leur nullité serait alors devenue une particularité caractéristique, et le lecteur aurait pu apprécier ainsi l'intelligence des capitalistes. Il n'y pense pas. Saccard développe seulement une théorie, la théorie du jeu, de la spéculation :

Il faut l'espoir d'un gain considérable, d'un coup de loterie qui décuple la mise de fonds, quand elle ne l'emporte pas.
C'est ce qui enflamme la cupidité du bourgeois et fait qu'il se sépare de son cher argent et le confie aux aigrefins et aux escrocs de la finance. De même que les enfants ne seraient pas créés sans la luxure, il serait impossible de réunir les capitaux gigantesques, nécessaires au développement économique et culturel, sans la spéculation et les passions qu'elle allume, passions qui s'emparent des hommes et les grisent. L'argent, cette ordure, devient le fumier où poussent les fleurs de la civilisation ; s'il corrompt tout, il donne au vice un parfum agréable, les coquettes et leurs pitoyables amis sont les créatures les plus odorantes du monde ; l'argent permet aux bonnes âmes, comme la princesse d'Orviedo, dont le mari s'est enrichi par des spéculations honteuses, d'accomplir des actes charitables, de placer des enfants pauvres et malades dans de magnifiques maisons et de leur donner des chemises et des douceurs. Telles sont, brièvement résumées, les pensées profondes qu'exprime le héros de Zola, pensées répétées par Caroline et que Zola ressasse plusieurs fois à plaisir, comme pour souligner la pauvreté d'idées de son œuvre.

Sigismond Busch est encore plus bavard que Saccard. Il peut donc dire plus de bêtises et il n'y manque pas. Zola a sans doute voulu le représenter comme un homme extraordinaire :

Outre le français, sa langue maternelle, il parlait l'anglais, l'allemand et le russe.
En effet, pour le Français qui ne connaît que sa langue maternelle, on est un homme extraordinaire dès qu'on en comprend plusieurs.

En 1849, à Cologne, il avait connu Karl Marx, était devenu le rédacteur le plus aimé de sa "Nouvelle Gazette rhénane" ; et, dès ce moment, sa religion s'était fixée, il professait le socialisme avec une foi ardente, ayant fait le don de sa personne entière à l'idée d'une prochaine rénovation sociale, qui devait assurer le bonheur des pauvres et des humbles.
Sigismond Busch correspond régulièrement avec son maître dont il étudie avec une ardeur passionnée les œuvres, surtout le Capital qu'il appelle sa bible. Relevons ici une erreur amusante de Zola. Pour paraître documenté à tout prix, il assure le lecteur que le Capital est imprimé en lettres gothiques, alors que les quatre éditions allemandes sont toutes en caractères latins.

Sigismond Busch, le disciple de Marx, a évidemment aussi peu lu le Capital que Zola l'a feuilleté. Si pourtant, contre toute vraisemblance, il l'a lu, il n'a profité que fort peu de sa lecture. Il exprime bien quelques idées sur la concentration des richesses et le rôle des spéculateurs de Bourse,

car l'Etat collectiviste n'aura à faire que ce que vous faites, vous exproprier en bloc, lorsque vous aurez exproprié en détail les petits.
Il dit que l'argent cessera de servir à la répartition des produits, comme cela se passe déjà dans l'économie familiale. Mais aujourd'hui ce sont là des lieux communs du socialisme, à ce point rebattus depuis dix ans qu'ils ont fait leur chemin dans les cerveaux obtus des philistins et qu'ils sont répétés même par les anarchistes.

Ces idées sont raisonnables ; elles ne pouvaient donc suffire à Zola pour faire de Sigismond Busch un socialiste. Il a trouvé nécessaire de mettre dans la bouche de ce prétendu disciple de Marx les erreurs de Proudhon que Marx a précisément combattues ; ce lecteur assidu du Capital voit, de même que Proudhon, le signe de la disparition de l'argent dans la baisse du taux de l'intérêt, ce qui prouve seulement l'augmentation de la masse d'argent en circulation. Ce socialiste scientifique est rempli de contradictions dont son papa Zola n'a aucune idée. Il explique comment Marx et Engels ont démontré péremptoirement que la société contemporaine crée dans son sein les éléments matériels et spirituels pour l'édification de la société communiste de l'avenir. En même temps, il passe ses nuits et use ses forces à imaginer comment sera organisée la société future et comment elle fonctionnera ; il s'efforce de découvrir dans le cœur humain les mobiles qui remplaceront l'égoïsme, créé et développé par la concurrence, ce moteur du progrès dans la société capitaliste.

Busch est un idéaliste typique qui ne se doute même pas que Marx, disciple de Hegel, était convaincu du développement dialectique des principes prétendus immuables, qu'il avait dépassé son maître et montré comment l'apparition et la transformation de ces principes dans le cerveau humain étaient étroitement liées au développement des rapports économiques. Mais Busch affirme que la nouvelle organisation sociale reposera sur les principes immuables de la justice et des droits reconnus et rendus à chacun ! Prenant pour modèle Karl Marx


avec lequel il était en continuelle correspondance, il épuisait ses jours à étudier cette organisation, modifiant, améliorant sans cesse sur le papier la société de demain, couvrant de chiffres d'immenses pages, basant sur la science l'échafaudage compliqué de l'universel bonheur.
En un mot, Busch est un cerveau confus et embrouillé, qui se raccroche aux utopies phalanstériennes et icariennes de 1848 ; Zola le représente comme un penseur scientifique, le disciple préféré de Marx. Or, Marx était fermement convaincu qu'il est vain de vouloir monter de toutes pièces une société, de même qu'il est impossible de créer un animal : ce sont les rapports économiques qui créent et développent les formes sociales qui y correspondent. Zola semble croire que Marx est un inventeur de romans. Le " socialiste e Sigismond Busch gâte le roman de Zola, il est le produit d'une fantaisie brumeuse.

Une œuvre comme l'Argent, qui s'élève tellement au-dessus des romans habituels et qui se propose de représenter et d'analyser les phénomènes sociaux, aurait dû exprimer une certaine conception de la société. Il n'en est rien.

L'Argent n'aura pas le même succès que Nana et que l'Assommoir, car l'œuvre n'attirera que les lecteurs qui veulent connaître le monde de la Bourse. Tant pis pour le grand public s'il ne sait pas apprécier ce roman à sa valeur !



-----------------


De nos jours on parle tant d'un renouveau de la littérature que quiconque se met en tête d'écrire des romans ou des vers s'imagine naïvement fonder une nouvelle tendance, une nouvelle école. Aussi peut-on poser les questions suivantes :

Le roman à la manière de Zola [16] constitue-t-il la suprême tentative faite par des écrivains bourgeois (le renouveler et de rajeunir le roman ? Ou bien ces écrivains sont-ils condamnés à fouler encore la voie tracée par leurs prédécesseurs, à reprendre les vieilles formules avec quelques changements de détail, en les adaptant aux exigences (lu temps, et à s'en servir ainsi, jusqu'à ce que le roman, comme genre, s'épuise, qu'il ait fait son temps et disparaisse, comme ont disparu la tragédie classique et l'épopée ?

Dans un prochain article (*) j'essaierai de répondre à ces questions.

LAFARGUE : " L'Argent " de Zola. Die Neue Zeit, 1891-92. T. I

FIN
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